Rage
Hors rage et rage dedans
La censure est en déragement
"Ses lourdes responsabilités envers les travailleurs du monde entier, tu
parles ! Elle était hérissée d'un égoïsme pathologique, hérissée, comme cette
chevelure de dingue qui proclamait : « je vais où je veux, je vais aussi loin
que je veux, ce qui compte, c'est ce que je veux. » Oui, cette chevelure
aberrante constituait la moitié de leur idéologie révolutionnaire, des
justifications de leur action - au même titre que le jargon outrancier dans
lequel elle parlait de changer le monde. Avec ses vingt-deux ans et son mètre
cinquante, elle s'était lancée dans l'aventure effrénée du pouvoir, force qui
dépassait de loin son entendement. Inutile de réfléchir le moins du monde. La
réflexion faisait piètre figure devant leur ignorance. Ils étaient omniscients
sans même y réfléchir. Comment s'étonner que l'effort colossal qu'il faisait
pour cacher son agitation fût un instant tenu en échec par une rage
irrépressible ?" Philippe Roth, Pastorale américaine
"Dans l'histoire de la ville, les cas de rage n'étaient ni bénins ni rares. Le
plus notoire était celui d'un colporteur qui déambulait sur les trottoirs avec
un singe apprivoisé aux manières fort peu différentes de celles des humains.
L'animal contracta la rage pendant le siège naval des Anglais, mordit son maître
au visage et s'échappa dans les collines avoisinantes. Le malheureux
saltimbanque fut battu à mort au milieu d'imprécations épouvantables, que des années plus tard les mères chantaient encore en rengaine pour faire peur aux
enfants. Deux semaines ne s'étaient pas écoulées qu'une horde de macaques
lucifériens déboula des collines en pleine journée. Ils ravagèrent les
porcheries et les poulaillers et envahirent la cathédrale, hurlant et
s'étouffant dans l'écume de leur sang alors qu'on chantait le Te Deum pour
célébrer la défaite de l'escadre anglaise". Gabriel Garcia Marquez, De l'amour et autres démons