Le grincement d'une balançoire vide résonne jusqu'à la fin du monde
Sans doute faudra-t-il reparcourir le chemin en arrière,
revenir aux après-midi éperdus de vos dix ans
– vos premières embuscades, vos premiers coups.
Vos secrets serrés dans de petits papiers.
Rebrousser chemin vers ce noir impalpable de l’enfance qui vous fait pleurer sans bruit.
Recoller une à une les images de tout petits morceaux de vies, vibrations au ralenti :
balançoire, trahison, chute, léger vertige, juxtaposition de certitudes dégrafées au réel.
Au final, il ne vous reste dans la main presque rien, une poignée de souvenirs,
quelques lieux, deux trois prénoms
– au milieu quelque part se trouve votre nom, chuchoté tout bas.
Ce nom-là ne vous appartient pas, vous ne le connaissez pas.
Il nous fonde et vous traverse.
Certains appellent ça l’inconscient.
D’autres encore n’y croient pas.
Vous croyez l’entrevoir, mais c’est lui qui vous regarde.
Éloge du risque, Anne Dufourmantelle (disparue le 21 juillet 2017)
Intrépide Molly
Molly était la plus intrépide.
En avril elle se balançait
au-dessus de la rivière sur une corde
attachée à une branche d’orme. Il y avait encore
de la glace le long de la berge et un jour
on retrouva son corps près du barrage
sa tête blessée : elle avait percuté la glace.
Un soir d’été elle me serra contre son maillot
de bain noir mouillé quand je lui apportai un milkshake.
L’incendie m’enflamma les veines et tout le corps.
Quand nous attrapions des grenouilles pour manger
leurs cuisses elle disait, « Nous sommes des animaux ».
Et sur la colline proche de la rivière, nous cueillions
des trilliums. Tous les garçons voulaient l’épouser.
Longtemps nous déposâmes sur sa tombe
les fleurs sauvages qu’elle aimait. Plus de soixante ans
après je vois clairement que personne ne se remet jamais
de rien, surtout pas de Molly au bord de la rivière,
oscillant à travers les airs —
un oiseau.
Jim Harrison, Intrépide Molly (Dead Man’s Float - La position du mort flottant)
Heurtant le soleil
une balançoire
soudain embrasa
le soir
© Well, Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri
(René Char)