L'’ntolérance à l’ambiguïté, une pathologie moderne
« Vers un monde univoque » : l’intolérance à l’ambiguïté, une pathologie moderne
Dans un court essai, l’universitaire allemand Thomas Bauer diagnostique avec agilité un trait de la mentalité moderne :
l’intolérance à l’ambiguïté et à la diversité, au profit d’un goût appauvrissant pour l’univoque.
« Ma thèse est que notre époque est une époque de faible tolérance à l’ambiguïté »,
et que cette évolution conduit « à rendre le monde de plus en plus univoque ».
Derrière la célébration de la diversité mondialisée, un assèchement serait à l’œuvre, se caractérisant par
« moins de significations, d’ambiguïté et de diversité dans tous les champs de l’existence ».
Thomas Bauer se concentre sur trois d’entre eux
– les arts, la politique et la religion –
qui le conduisent à dérouler une seconde hypothèse :
ce règne de l’univoque produirait deux phénomènes à la fois opposés et partageant une racine commune, le fondamentalisme et l’indifférence.
Obsession de la pureté
La religion se présente comme une application évidente de cette « disposition moderne à la destruction de la diversité ».
L’indifférence à la foi est devenue majoritaire dans les sociétés occidentales.
Quant au fondamentalisme, Thomas Bauer le décèle dans tous les monothéismes, des évangéliques chrétiens aux islamistes fantasmant un retour à l’âge d’or.
L’auteur affine en détectant trois mouvements propres à ce fondamentalisme :
l’obsession de la vérité, l’aspiration à la pureté et la négation de l’histoire.
Qui, en politique, se retrouvent dans les versions sécularisées que sont les idéologies totalitaires, et actuellement dans l’obsession identitaire qui reconfigure le paysage européen.
Cet identitarisme rejoint un autre trait contemporain :
la quête de l’authenticité, vecteur d’une affirmation de soi érigée en « idéal suprême ».
Mais « seul l’univers coloré de la consommation nous offre encore une vitrine de diversité », se désole Thomas Bauer, dont l’agilité réflexive séduit, tout en devenant parfois sa faiblesse.
S’il convainc sur certains aspects, son pointillisme lui fait perdre en finesse sur la culture, traitée à travers l’art contemporain et la musique, ou sur le transhumanisme analysé comme l’aboutissement des « utopies du fondamentalisme ».
Là se trouve peut-être la limite de ces coups d’épée.
Youness Bousenna - Vers un monde univoque » : l’intolérance à l’ambiguïté, une pathologie moderne
(Publié le 17 avril 2024)
Que de sentiments ambigus dans nos vies,
que d’attractions disparates,
pourtant nous tombons comme la pierre
tout droit, uniformément.
Dans le filet de combien de hontes
et de gloires imaginées nous barbotons,
pourtant nous devrions étaler au soleil
tout ce qui est à cacher.
Combien
tard nous comprenons que
la pénombre des yeux peut être plus précise
que la lumière d’une lampe, et combien
tard nous apercevons le perpétuel
agenouillement du monde.
János Pilinszky, Combien ambigus
Il ne suffit pas de simplement regarder
il faut aussi savoir Voir
tout en demeurant objectif
© Well, La bonne ouverture