Invisible
Désir. Chair. Fusion.
Une cellule. Puis deux.
La vie commence.
Haïkus, Well
"Il voyagea sept ans. Il fit tous les métiers. Il apprit de
nombreuses langues. Il apprit de nombreuses sortes de silence. Il garda la
bouche fermée le plus souvent possible et écouta tout ce que les hommes et la
nature avaient à dire. Il voyagea sur de nombreuses mers, vit de nombreuses
villes, et fut le
témoin des nombreuses sortes de mal qui peuvent naître dans le
cœur des hommes. Il voyagea sur les mers en parlant peu, et quand quelqu'un lui
demandait pourquoi il voyageait et quelle était sa destination, il donnait
toujours deux réponses. La première pour l'oreille de celui qui posait la
question. La seconde pour son cœur. La première disait: «Je ne sais pas pourquoi
je voyage. Je ne sais pas où je vais.»
La seconde disait: «Je voyage pour savoir pourquoi je suis invisible. Je recherche le secret de la visibilité.» Ceux qui travaillaient avec lui au cours de ces années le considéraient comme un naïf. En réalité, ils ne le voyaient pas du tout." Ben Okri, Etonner les dieux
"S'il n'y a pas d'entremetteuse qui ait accès dans le harem, l'homme, alors, se tiendra dans quelque endroit où il puisse voir la femme qu'il aime et qu'il désire posséder.
Si cet endroit est occupé par les sentinelles du Roi, il se déguisera en servante de la dame qui vient dans ledit endroit, ou qui y passe.
Lorsqu'elle le regardera, il lui fera connaître ses sentiments par des signes et gestes extérieurs, et lui montrera des peintures, des objets à double sens, des chapelets de fleurs, des anneaux. Il notera soigneusement la réponse qu'elle lui fera, par mots ou par signes ou gestes, et essaiera alors de pénétrer dans le harem. S'il est certain qu'elle doit venir dans quelque lieu particulier, il s'y cachera, et au moment voulu entrera avec elle mêlé à ses gardes. Il peut aussi aller et venir, caché dans un lit replié, ou dans une couverture de lit ; ou mieux encore, il se rendra le corps invisible au moyen d'applications extérieures, comme celle dont voici la recette :
Brûlez ensemble, sans laisser partir la fumée, le coeur d'un ichneumon, le fruit de la courge longue (tumbi), et les yeux d'un serpent ; broyez les cendres et mêlez dans une égale quantité d'eau. En se mettant sur les yeux cette mixture, un homme peut aller et venir sans être vu.
Il y a d'autres moyens d'invisibilité prescrits par les Brahmanes de Duyana et les Jogas iras.
Un homme peut aussi entrer dans le harem durant le festival de la huitième lune, dans le mois de Nargashirsha, et durant les festivals de clair de lune, alors que les surveillantes du harem sont très occupées ou tout à la fête." Vatsyayana, Les Kama Sutra
L'idée de l'âme et de sa survivance est une invention des sauvages, qui se sont octroyés un esprit immatériel et immortel pour expliquer les phénomènes du rêve. Le sauvage, qui ne doute pas de la réalité de ses rêves, s'imagine que, si pendant son sommeil il chasse, se bat ou se venge et que si au réveil il se retrouve à la place où il s'est couché, c'est qu'un autre lui-même, un double comme il dit, impalpable, invisible et léger comme l'air, a quitté son corps endormi pour aller au loin chasser ou se battre ; et comme il lui arrive de voir en rêve ses ancêtres et ses compagnons défunts, il conclut qu'il a été visité par leurs esprits, qui survivent à la destruction de leurs cadavres.
Le sauvage, "cet enfant du genre humain" comme l'appelle Vico, a, ainsi que l'enfant, des notions puériles sur la nature ; il croit qu'il peut commander aux éléments comme à ses membres, qu'il peut, avec des paroles et des pratiques magiques, ordonner à la pluie de tomber, au vent de souffler, etc. ; si par exemple, il craint que la nuit le surprenne en route, il noue de certaine façon certaines herbes pour arrêter le soleil, comme le fît le Josué de la Bible avec une prière. Les esprits des morts ayant cette puissance sur les éléments à un plus haut degré que les vivants, il les invoque pour qu'ils produisent le phénomène quand il échoue à le déterminer. Un vaillant guerrier et un sorcier habile possédant plus d'action sur la nature que les simples mortels, leurs esprits, quand ils sont morts, doivent, par conséquent, avoir sur elle un plus grand pouvoir que les âmes des hommes ordinaires, le sauvage les choisit dans la foule des esprits pour les honorer avec des offrandes et de sacrifices et pour les supplier de faire pleuvoir, quand la sécheresse compromet les récoltes, de lui donner la victoire quand il entre en campagne, de le guérir quand il est malade. Les hommes primitifs, en partant d'une explication erronée du rêve, ont élaboré les éléments qui, plus tard, servirent à la création d'un Dieu unique, lequel n'est, en définitive, qu'un esprit plus puissant que les autres esprits.
L'idée de Dieu n'est ni une idée innée, ni une idée a priori, mais une idée a postériori, comme le sont toutes les idées, puisque l'homme ne peut penser qu'après être venu en contact avec les phénomènes du monde réel, qu'il explique comme il peut.
Paul Lafargue, La croyance en Dieu