Figure
Le patin glisse.
Que la glace est grâce !
Chute. Exquis maux.
Haïkus, Well
"Ce qui m'intéresse le plus, ce n'est ni la nature morte, ni le paysage, c'est la figure. C'est elle qui me permet le mieux d'exprimer le sentiment pour ainsi dire religieux que je possède de la vie." Henri Matisse, "Notes d'un peintre", La grande revue
"Riad apprit à lire. Son maître lui enseigna d'abord que figure ne signifie pas seulement visage humain, mais qu'il y a des figures de diction qui s'appellent prothèse, épenthèse, paragoge, aphérèse, syncope, apocope, métathèse,diérèse, synthèse et crase. Des figures de construction qui s'appellent ellipse, zeugma, syllepse, hyperbate et pléonasme. Des figures de mots ou tropes, qui s'appellent métaphore, ironie, allégorie, allusion, catachrèse,hypallage, synecdoque, métonymie, euphémisme, antonomase, métalepse et antiphrase. Enfin des figures de pensée qui s'appellent antithèse, apostrophe, épiphonème, subjection, obsécration, hyperbole, litote, prosopopée et hypotypose.
Et cela faisait une nuée de trente-six figures - trois fois douze - qui l'entouraient où qi'il aille, comme on voit sur certaines icônes un essaim de visagesailés d'angelots accompagner les travaux et les jours d'un saint. Michel Tournier, La goutte d'or
"Après deux heures de délai, d'ennui et d'impatience, on m'introduisit dans la
salle du pacha : je vis un homme d'environ quarante ans, d'une belle figure,
assis ou plutôt couché sur un divan, vêtu d'un cafetan de soie, un poignard orné
de diamants à la ceinture, un turban blanc à la tête. Un vieillard à longue
barbe occupait respectueusement une place à sa droite (c'était peut-être le
bourreau) ; le drogman grec était assis à ses pieds ; trois pages debout
tenaient des pastilles d'ambre, des pincettes d'argent et du feu pour la pipe.
Mon janissaire resta à la porte de la salle.
Je m'avançai, saluai Son Excellence en mettant la main sur mon coeur ; je lui
présentai la lettre du consul, et, usant du privilège des Français, je m'assis
sans avoir attendu l'ordre.
Osman me fit demander d'où je venais, où j'allais, ce que je voulais.
Je répondis que j'allais en pèlerinage à Jérusalem ; qu'en me rendant à la
ville sainte des chrétiens j'avais passé par la Morée pour voir les antiquités
romaines [Tout ce qui a rapport aux Grecs, et les
Grecs eux-mêmes, sont nommés Romains par les Turcs. (N.d.A.)] ;
que je désirais un firman de poste pour avoir des chevaux, et un ordre pour
passer l'isthme.
Le pacha répliqua que j'étais le bienvenu, que je pouvais voir tout ce qui me
ferait plaisir, et qu'il m'accorderait des firmans. Il me demanda ensuite si
j'étais militaire et si j'avais fait la guerre d'Egypte.
Cette question m'embarrassa, ne sachant trop dans quelle intention elle était
faite. Je répondis que j'avais autrefois servi mon pays, mais que je n'avais
jamais été en Egypte.
Osman me tira tout de suite d'embarras : il me dit loyalement qu'il avait été
fait prisonnier par les Français à la bataille d'Aboukir ; qu'il avait été très
bien traité de mes compatriotes, et qu'il s'en souviendrait toujours." Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à
Paris
"Les tableaux à figure nous considèrent enjoués ou sévères, abritant plus ou moins de tension, consolants ou terribles, douloureux ou souriants. Ils vont du comique au tragique et nous considèrent avec toute la diversité de la dimension psycho-physionomique." Paul Klee, Théorie de l'art moderne
"Cette année-là, notre maître de géométrie était sévère, il punissait
impitoyablement ceux qui ne donnaient pas à ses leçons une attention
scrupuleuse ; les retenues, les pensums tombaient dru comme grêle ; c'
était là un grand crime dont il fallait le punir, et il fut convenu qu' on le
ferait sauter.
c' était un homme grisonnant, sanguin,
apoplectique, violent et suffisamment spirituel pour
un mathématicien. Au jour indiqué, chacun prit une figure
de componction pour entrer en classe, chacun gagna sa place en silence,
et, dans un recueillement profond, chacun attendit l' instant de commencer. Ce fut une tempête qui éclata tout à coup ! Piaulements,
hurlements, bêlements, crécelles et sifflets, gloussements, hennissements,
coassements, sonnettes et grelots, bruits de tout genre, chants de toute
nature, cris de toute sorte s' élancèrent à la fois dans une inexprimable
rumeur. Le professeur fit un bond et voulut parler : sa voix disparut au
milieu du vacarme comme une barque engloutie dans
l' océan. Il était fou de
rage, il écumait, il trépignait ; un jet de sang chassé par la fureur lui
empourpra les joues, il eut vociférations redoublèrent et l' on cria : bis ! Bis ! Ses
yeux flamboyants roulaient dans leur orbite et tremblotaient comme pris de
vertige sans pouvoir se fixer sur personne. Il s' était
levé dans sa
chaire ; debout, les poings crispés, les lèvres blanches, il bégayait des
paroles que notre tumulte emportait. Un ou deux encriers, cette arme
naturelle des écoliers, avaient déjà frappé la muraille auprès de lui ;
l'
agression devenait
directe ; quelques cris : par la fenêtre !Par la fenêtre ! Se faisaient déjà
entendre, lorsqu' un oeuf vigoureusement lancé s' écrasa au milieu du
visage de ce malheureux ; il resta impassible, devint très-pâle et laissant
tomber sa tête sur sa poitrine, il se prit à pleurer ! Les enfants sont
meilleurs qu'ils ne le paraissent ; la douleur de cet homme nous fit honte,
et le bruit s' abaissa peu à peu jusqu' à ne plus être qu' un murmure
confus. Rendu à sa colère par cette apparence de soumission, le professeur s'
écria :
-je vous traiterai comme des nègres... nous n' en entendîmes pas
davantage, et le brouhaha recommença plus violent et plus étourdissant."
Maxime Du Camp, Mémoires d'un suicidé