Vent
Chergui, dzhari, shamal
Foehn, Eurus, simoun.
D'autan en emporte levant...
"Ô vent qui nous frôles, tantôt chantant une chanson douce et tendre, tantôt gémissant et te lamentant, nous t'entendons
mais ne te voyons point. Nous sentons ta caresse, mais ne saurions
discerner ta forme. Tu es pareil à l'océan d'amour, tu nous submerges,
mais ne nous anéantis point. [...]
Du fond des océans tu te lèves et, de ton épaisse chevelure, ébranles les abimes silencieux. Puis, dans ta fureur, tu détruis les bateaux et anéantis leurs équipages. Te reconnais-tu aussi dans la douce brise, caressant les têtes bouclées des enfants quand ils jouent près de leurs demeures?" Khalil Gibran, La voix de l'éternelle sagesse
"- Ne vous laissez surtout pas déconcerter par rien, continua le capitaine précipitamment, et toujours faites face au vent. Ils peuvent dire tout ce qu'ils veulent, mais les plus grosses lames courent toujours dans le sens du vent. Debout au vent - toujours debout au vent - c'est le seul moyen d'en sortir. Vous êtes un novice. Faites face, ça n'est déjà pas si facile.
[...] Quand le grondement cessa il lui sembla qu'il y avait un arrêt de tous les bruits - un arrêt absolu - durant lequel la voix du capitaine Mac Whirr retentit.
- Qu'est-ce que cela? une bouffée de vent? [...]
Le murmure du vent s'approchait rapide. En première ligne on pouvait distinguer une sorte de plainte assoupie et, très loin, à l'arrière,
l'accroissement d'une clameur multiple qui s'avançait en s'étalant. On
y distinguait comme des roulements d'une multitude de tambours, une
note impétueuse et mauvaise, et le chant d'une foule en marche." Joseph Conrad, Typhon
"Au clair de la lune, près de la mer, dans les endroits isolés de la campagne,
l'on voit, plongé dans d' amères réflexions, toutes les choses revêtir
des formes jaunes, indécises, fantastiques. L' ombre des arbres, tantôt
vite, tantôt lentement, court, vient, revient, par diverses formes, en s'
aplatissant, en se collant contre la terre. Dans le temps, lorsque j'
étais emporté sur les ailes de la jeunesse, cela me faisait rêver, me
paraissait étrange ; maintenant, j' y suis habitué. Le vent gémit à travers
les feuilles ses notes langoureuses, et le hibou chante sa
grave complainte, qui fait dresser les cheveux à ceux qui l'entendent.
Alors, les chiens, rendus furieux, brisent leurs chaînes, s' échappent des
fermes lointaines ; ils courent dans la campagne, çà et là, en proie à la
folie. Tout à coup, ils s' arrêtent, regardent de tous les côtés avec une
inquiétude farouche, l' oeil en feu ; et, de même que les éléphants, avant
de mourir, jettent dans le désert un dernier regard au ciel, élevant
désespérément leur trompe, laissant leurs oreilles inertes, de même les
chiens laissent leurs oreilles inertes, élèvent la tête, gonflent le cou
terrible et se mettent à aboyer, tour à tour, soit comme un enfant qui
crie de faim, soit comme un chat blessé au ventre au-dessus d' un toit, soit
comme une femme qui va enfanter, soit comme un moribond atteint de
la peste à
l' hôpital, soit comme une jeune fille qui chante un air
sublime, contre les étoiles au nord, contre les étoiles à l' est, contre les
étoiles au sud, contre les étoiles à l'ouest
; contre la lune ; contre les montagnes, semblables au loin à des
roches géantes, gisantes dans l'obscurité ; contre l' air froid qu'ils
aspirent à pleins poumons, qui rend l'intérieur de leur narine rouge,
brûlant ; contre le silence de la nuit ; contre les chouettes, dont le vol oblique leur rase le museau,
emportant un rat ou une grenouille dans le bec, nourriture
vivante, douce pour les petits ; contre les lièvres qui disparaissent en
un clin d'oeil ; contre le voleur, qui s'enfuit au galop de son cheval
après avoir commis un crime ; contre les serpents, remuant les bruyères,
qui leur font trembler la peau, grincer les dents ; contre leurs propres
aboiements, qui leur font peur à eux-mêmes ; contre les crapauds qu'ils
broient d' un seul coup de mâchoire (pourquoi se sont-ils éloignés du marais
? ) ; contre les arbres, dont les feuilles, mollement bercées, sont
autant de mystères qu'ils ne comprennent pas, qu'ils veulent découvrir
avec leurs yeux fixes, intelligents ; contre les araignées, suspendues entre
leurs longues pattes, qui grimpent sur les arbres pour se sauver ; contre
les corbeaux qui n' ont pas trouvé de quoi manger pendant la journée, et qui
s' en reviennent au gîte l' aile fatiguée ; contre les rochers du rivage ;
contre les feux, qui paraissent aux mâts des navires invisibles ; contre le
bruit sourd des vagues ; contre les grands poissons, qui,
nageant, montrent
leur dos noir, puis s' enfoncent dans l' abîme ; et contre l' homme qui
les rend esclaves. Après quoi, ils se mettent de nouveau à courir dans
la campagne, en sautant, de leurs pattes sanglantes, par-dessus les
fossés, les chemins, les champs, les herbes et les pierres escarpées."
Lautréamont, Les chants de Maldoror