Ruelle
L'art hue, l'art hèle
dans les rues et les ruelles
"Nous disons des fentes étroites, et nous ne pouvons pas donner une plus juste idée de ces ruelles obscures, resserrées, anguleuses, bordées de masures à huit étages." Victor Hugo, les Misérables
"Dans ma ruelle, on ne s'installe jamais pour longtemps. Les gens qui la hantent
sont des nomades de la ville, des voyageurs éternels errant dans le labyrinthe
chaotique et poussiéreux des rues. Ils déguerpissent aussi vite qu'ils sont
apparus, sans laisser de traces, car ils n'ont strictement rien. Ils vont plus
loin, attirés par le mirage d'un emploi, effrayés par une épidémie venant de se
déclarer dans la ruelle ou chassés par les propriétaires des cases et des
vérandas à qui ils ne peuvent payer le loyer de leur place. Tout dans leur vie
est provisoire, mouvant et précaire, existe sans exister. Et quand quelque chose
existe, pour combien de temps? Cette incertitude permanente fait que les hommes
de ma ruelle se sentent toujours menacés, sont constamment effrayés. Ayant
abandonné la misère de leur campagne, ils ont fait le voyage jusqu'à la ville
avec l'espoir d'y vivre mieux. Celui qui y a retrouvé un cousin peut compter sur
son soutien, sur un coup de pouce. Mais beaucoup de ces villageois d'hier n'ont
trouvé aucun proche, aucun membre de leur tribu. Souvent ils ne comprennent même
pas la langue qu'ils entendent dans la rue, ils ne savent pas demander le
moindre renseignement. L'univers de la ville les engloutit. Le lendemain de leur
arrivée, ils ne sont plus capables d'en sortir."
Ryszard Kapucinski, Ebène, Aventures africaines