L'amour qui tente de passer pour plus fort que la mort est plus faible que la vie
L'amour s'éprouve éternel.
La mort sera sa manière de nier le temps, qui est le drame de notre existence
considéré sous sa forme la plus abstraite, pour atteindre l'éternité.
L'espérance de survie repose sur l'expérience d'une pérennité éprouvée dans l'amour même.
Tristan n'est pas le mythe de l'amour comme promotion aveugle à la mort, mais celui de la foi en la destinée de l'amour au delà de la mort.
Telle est du moins la manière dont l'amour-passion se vit subjectivement.
Mais comprendre du dedans la conscience amoureuse n'est pas la légitimer.
Le refus du réel n'est jamais un bon signe.
Stanislas Fumet a justement dénoncé l'impatience des limites.
Nier le monde pour se constituer son propre univers relève de la magie.
L'amour qui tente de passer pour plus fort que la mort est plus faible que la vie.
De même l'exemple de Novalis, se fiançant avec Julie de Charpentier après la mort et l'idéalisation de Sophie, prouve l'échec de l'Erôs à transcender la mort de l'être aimé.
On pense rencontrer un amant oublieux de lui-même, et on trouve un introverti, attentif à connaître et à cultiver son moi,
" installé dans le deuil comme dans un laboratoire ".
Sophie n'a été qu'un prétexte à aimer, c'est-à-dire à s'aimer.
La passion n'est pas une réussite émouvante, comme l'individu en a le sentiment exaltant,
mais la réussite de l'émotion entraînant la croyance à la réussite de l'amour.
Sartre a bien montré le lien de la magie et de l'émotion.
Celle-ci est une solitude renforcée ; elle mure les consciences les unes en dehors des autres.
Le tort de Gabriel Marcel comme de Soloviev sera encore de s'appuyer, au moins partiellement, sur l'émotion pour affirmer l'éternité de l'amour.
Il faut être plus prudent et se méfier des philosophies pathétiques.
Si le projet de l'amour est bien l'union avec autrui, la passion ne se réalise pas, qui en méconnaît les conditions réelles.
Quoi qu'ils pensent et veuillent, les amants ne meurent pas pour passer de l'instant à l'éternité, mais pour éterniser l'instant.
Alquié a suffisamment établi que tout désir d'éternité n'était pas valable.
Proclamer l'amour éternel, c'est ne rien dire de l'amour, sinon qu'il a manqué son adaptation au monde.
Ce qui est vrai de l'amour heureux l'est aussi de l'amour malheureux.
Les circonstances changent, la signification demeure.
Dans l'abandon vécu, la perte de l'aimé est éprouvée comme une privation d'être,
un amoindrissement et un affront personnels.
L'abandonné devient celui qui ne se sent pas justifié d'être :
il est l'homme du refus - refus de la liberté d'autrui, refus des événements.
Ces sentiments s'expriment en divers comportements, qui peuvent aller du meurtre au suicide.
D'une passionnante enquête, Gargam conclut à l'universalité de l'idée de mort chez les passionnés délaissés.
Le passage du souhait plus ou moins explicite à l'acte dépend des réflexes moraux du sujet et des circonstances.
C'est que l'amour-passion est le désir d'asservissement de la liberté comme telle.
Certes la distinction de l'amour captatif et de l'amour oblatif reste abstraite.
La passion la plus égoïste ne va pas sans oubli de soi.
Il y a même une oblativité qui n'est qu'une captativité retournée, se situant par rapport à elle comme le masochisme à l'égard du sadisme.
De toutes façons la mort ici - meurtre, double suicide, suicide isolé - n'est pas davantage un témoignage d'amour authentique.
Même le prétendu suicide par amour est d'intention narcissique.
On veut encore " posséder " l'autre, retenir son attention après la mort, écarter de sa pensée les refuges rassurants
- le remords étant une forme de l'amour, comme songe Anna Karénine.
Un tel suicide prouve seulement qu'on peut pousser l'égoïsme jusqu'à l'oubli de soi.
Jean Lacroix, L'Amour et la Mort
Publié le 30 juillet 1959
Épectase :
Mort
pendant l'orgasme
comme Felix Faure
dans Maguerite
Fantasmes
et métaphores
de l'Extase
interdite
© Well, Recalé à l'oral
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