Passage clouté
La pluie s’arrêta, un passager ouvrit la fenêtre.
L’air glacé du dehors pénétra à l’intérieur et la buée sur la vitre se dissipa en un instant.
L’autobus continuait sa progression sur la route asphaltée où le soleil commençait à se refléter.
Les couleurs du paysage mouillé brillant dans la lumière, passant à travers la fenêtre, mettaient un peu de gaieté à l’intérieur du véhicule.
Lorsque l’autobus s’arrêtait aux croisements, une légère ondulation se propageait de passager en passager. Chaque fois, Kenshiro qui avait les nerfs à fleur de peau se focalisait sur le corps de la jeune femme qui se tenait à ses côtés.
Celui-ci appartenait plutôt à la catégorie des corps graciles, mais il lui semblait que les os du bassin sur lequel la jupe était tendue étaient hérissés comme les piquants d’une carapace d’araignée de mer.
Profitant des oscillations du châssis, il tentait subrepticement de la frôler. C’était son habitude matinale de se rapprocher des femmes dans l’autobus qui le conduisait à son travail. Il choisissait tout naturellement celles qui avaient un corps maigre. La beauté ou la laideur de leur visage n’entrait pas en considération. Son seul but était la forme des os qu’il sentait pointer à travers les vêtements.
Bien sûr, il était le plus souvent déçu. Mais le bassin de la femme qu’il effleura ce jour-là offrit une entière satisfaction à ses sens.
Il le ressentit même comme un magnifique récipient osseux abritant un intérieur fécond.
Bientôt, l’autobus s’arrêta au pied de la passerelle proche de la gare.
Kenshiro, grimaçant de regret, descendit du véhicule en se frottant résolument aux hanches de la femme.
Après un léger coup de klaxon, l’autobus s’éloigna, traversa le carrefour. Il resta un moment à le regarder s’en aller, avec un sentiment de regret comme d’habitude.
Dès que la carrosserie de l’autobus eut disparu, renonçant enfin, il traversa le passage clouté à petites foulées,
franchit le portail d’enceinte de l’hôpital universitaire avec son bâtiment blanc aux fenêtres alignées.
Les yeux mi-clos à cause de la réverbération du soleil qui éclairait les vitres, il contourna le bâtiment en marchant sur le gravier qui commençait à sécher çà et là. Sur l’arrière, le soleil disparaissait soudain, tandis que l’étroit chemin moussu était vert par endroits.
Au bout de ce chemin était tapie une vieille bâtisse en briques.
Akira Yoshimura, Un spécimen transparent
La vie ne vaut pas un clou !
psalmodiait Marie-Madeleine
tenaillée par la douleur
© Well, Noli me tangere
Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé