Camp
Le 27 janvier 2020 commémore le 75e anniversaire de la libération du camp allemand nazi de concentration
et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau par les troupes soviétiques en 1945.
En 2005, l'Assemblée générale des Nations Unies a officiellement proclamé cette date Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste.
Unesco
Nous ne sommes pas des rescapés
mais des revenants.
Jorge Semprún, L'écriture ou la vie
Il m'était déjà arrivé de me demander, et je me le demande de plus en plus à présent,
quel est tout de même le prix maximal de la vie ?
Que peut-on donner pour la conserver, et où est la limite ?
Comme on vous l'enseigne maintenant à l'école :
«Ce que l'homme a de plus cher, c'est la vie, elle ne lui est donnée qu'une fois.»
Par conséquent : s'accrocher à la vie à n'importe quel prix...
Nous sommes beaucoup à qui les camps ont fait comprendre que la trahison, le sacrifice d'être bons et démunis était un prix trop élevé,
et que notre vie ne le valait pas. Quand à la servilité, la flatterie, le mensonge, les avis, au camp étaient partagés :
certains disaient que ce prix-là était acceptable, et c'est peut-être vrai.
Oui, mais avoir la vie sauve au prix de tout ce qui en fait la couleur, le parfum, l'émotion ?
Obtenir la vie avec la digestion, la respiration, l'activité musculaire et cérébrale, et rien de plus.
Devenir un schéma ambulant. Ce prix-là, n'est-ce pas un peu trop demander ?
N'est-ce pas une dérision ?
Faut-il le payer ?
Alexandre Soljenitsyne, Le Pavillon des cancéreux
Le quotidien allemand Bild a décidé à partir du 2 août 2016 de publier par épisodes
des extraits du journal personnel du nazi Heinrich Himmler
Heinrich Himmler tenait son journal à jour très régulièrement. Le 9 mars 1938, il rapporte ainsi avoir mangé un déjeuner entre amis au sein-même du camp de concentration de Dachau, non loin de Munich, en Bavière. Quelque 36 000 personnes y ont perdu la vie. Il raconte ses allers-retours comme le ferait un simple bureaucrate, entre les différents camps qu'il visite et les réunions qu'il tient avec Joseph Goebbels, chef de la propagande nazie.
Froideur protocolaire
Le 9 janvier 1943, il énumère les principaux faits de sa venue à Varsovie, là où se tenait le plus gros ghetto juif d'Europe : "Une discussion, une balade en voiture à travers le ghetto, une visite à la zone d'attente et à 18h, départ de Varsovie". Et avec la même froideur protocolaire, il détaille comment trois jours plus tard, après son déjeuner à Lublin avec Odilo Globocnik, le gestionnaire de quatre camps d'extermination (Belzec, Sobibor, Treblinka et Chelmno), il a félicité l'efficacité du gazage de quelques 400 prisonniers par les rejets des moteurs diesel lors d'une "démonstration" au camp de Sobibor. Une méthode ensuite remplacée par le tristement célèbre Zyklon B, puissant pesticide contre les poux. Environ 2 millions de personnes ont été tuées dans lesdits camps. L'une des rares survivantes de Sobibor, Ada Lichtman, se rappelle : "Il y a eu un gigantesque banquet donné en son honneur. Je devais décorer les tables. Himmler était tellement enthousiasmé par cette visite. Quand il est reparti, nos meurtriers portaient de nouvelles décorations qu'il leur avait remises".
Un jour en l'année 1944, Himmler, qui souffre régulièrement de maux de ventre, se fait masser par son médecin personnel, Félix Kersten. Pas plus détendu, il demande immédiatement après sa séance l'exécution de dix Polonais au camp de concentration d'Auschwitz, avant de commander de nouveaux chiens de garde capables de "déchiqueter n'importe qui sauf leurs maîtres".
Vie personnelle
En marge de ces rapports terrifiants, Himmler fait écrire quelques détails de sa vie personnelle, tels que ses relations avec sa fille Gudrun, qui voue encore aujourd'hui à l'âge de 86 ans un culte envers son père depuis la banlieue de Munich où elle vit. Il détaille également ses balades de nuit, le temps passé avec sa maîtresse et secrétaire Hedwig Pottgast, ses parties de curling, de cartes, ou encore ses séances de sauna.
Architecte de l'holocauste juif
Le 18 octobre 1944, alors que le vent est en train de tourner en faveur des Alliés, Himmler entonne un discours, noté dans son journal :
"Tous les hommes âgés entre 16 et 60 ans doivent défendre le sol de leur mère-patrie. […] Nos ennemis doivent comprendre que chaque kilomètre de notre pays leur coûtera des flots de sang. Chaque quartier, chaque village, chaque ferme, chaque fossé, chaque buisson, chaque forêt sera défendu par des hommes, des vieillards, et s'il le faut, des femmes et des petites filles".
On s'arrêtera tout de même un instant sur l'un des passages les plus surprenants de son journal :
alors que Himmler est sensible à la vue du sang, il manque de faire un malaise en 1941 lorsque pendant une exécution de juifs sur un site proche de Minsk en Biélorussie, il reçoit un bout de cervelle sur son manteau.
Atlantico - Bild, Des extraits du journal de Heinrich Himmler, le chef de la SS, viennent d'être retrouvés :
plongée glaçante dans l'univers de l'un des principaux architectes de la Shoah
A vingt ans, je n'avais en tête que l'extermination des vieux ;
je persiste à la croire urgente mais j'y ajouterais maintenant celle des jeunes ;
avec l'âge on a une vision plus complète des choses.
Emil Cioran, Carnets
C'est avec le sourire que je me rappelle l'aventure qui m'est arrivée il y a quelques années dans une cinquième élémentaire où j'avais été invité à commenter mes livres et à répondre aux questions des élèves. Un gamin à l'air éveillé, apparemment le premier de la classe, m'adressa la question rituelle :
"Mais pourquoi ne vous êtes-vous pas échappé ?"
Je lui exposai brièvement ce que j'ai écrit ici ; lui, peu convaincu, me demanda de tracer au tableau un plan schématique du camp, en indiquant l'emplacement des miradors, des portes, des réseaux de barbelés et de la centrale électrique. Je fis de mon mieux, sous trente paires d'yeux attentifs. Mon interlocuteur étudia le plan pendant quelques instants, me demanda quelques explications supplémentaires, puis m'exposa le plan qu'il avait imaginé :
ici, de nuit, il fallait étrangler la sentinelle, ensuite, revêtir son uniforme, aussitôt courir à la centrale et couper le courant électrique : les projecteurs se seraient alors éteints et le réseau de fils électriques à haute tension mis hors de service, après quoi, j'aurais pu partir tranquillement. Il ajouta très sérieux :
"Si cela devait vous arriver une autre fois, faites comme je vous l'ai dit, vous verrez que ça réussira."
Primo Levi, Les Naufragés et les Rescapés : Quarante ans après Auschwitz
Méfiez-vous des camps
dira-t-on
des trains sifflotant sous l'aurore
du chant des bottes sur le perron
de la douce lueur des miradors
et des suaves fragrances du Zyklon
Méfiez-vous des cancans
dira-t-on
des promesses des rumeurs
de ces discours qui font chanceler
et voient s’élever sous les clameurs
les bras tendus de l'animosité
Méfiez-vous du clinquant
dira-t-on
de leurs beaux sourires enragés
de ce sens tourmenté du détail
que l'Histoire a si souvent répété
qu'un jour ne se piétine tel un bétail
le grand troupeau de l'Humanité
Méfiez-vous du
"Quand dire à temps ?"
car il est tant encore tant
et à âmes éperdues
d'haut plus fort le crier
© Well, Post-anticipation