Berceau
"Le plus lointain souvenir de Lucie L. est un
visage penché sur son berceau, un visage étendu d'un bout à l'autre du
champ de vision, et dans ce visage, la bouche rouge vif, qui se lie aux
syllabes de son prénom : les lèvres se rapprochent comme pour souffler
une bulle, puis s'étirent sur l'opale des dents, Lu-cie.
Lucie L.
ne peut pas décrire ce visage, l'image est si floue. Il suffit d'une
odeur de talc, d'un mur vert pâle comme celui de son ancienne chambre
d'enfant pour faire surgir le visage et la bouche arrondie. Ils se
dérobent aussitôt, mouvants comme des résidus de rêves. Reste le son,
très net, qui d'une syllabe à l'autre impose la forme du sourire aux
lèvres maternelles : Lu-cie, Lu-cie, par mimétisme l'enfant dans le
berceau sourit à ce visage, ils restent ainsi prisonniers l'un de
l'autre, longtemps. Parfois, une autre voix de femme, peut-être celle
d'une tante, d'une grand-mère de passage articule en écho les syllabes
du prénom maternel : Lu-cile. Alors les sons se mêlent au-dessus du berceau,
le ciel est plein de bruits ravissants qui multiplient les sourires
jaune d'or de la mère, lu-cil-lu-cie-lu-cil-lu-cie-lu-cile,
et, l'enfant ne l'apprendra que plus tard, de sa mère ou d'un manuel de
latin, elle sait déjà, par intuition, que Lucie, lux, est le
nom de la lumière. Chaque matin de l'enfance conforte cette évidence :
c'est au moment exact où la lumière pénètre dans la chambre, une fois
les rideaux écartés, que retentissent les deux syllabes du réveil,
Lu-cie!, qui font se lever le soleil." Valentine Goby, Qui touche à mon corps je le tue
"Dors l'enfant d'Ô
Dors indolent dans
Ce monde tout chant
Qui tant te berce haut !"
Well, Danse en lent do