Compostelle
"Je marche derrière un jeune couple de fiancés catholiques. Des vrais. Au-delà de l'imaginable. Courts sur pattes musclées sous les shorts en coton. Très scouts des années cinquante. Ils sont venus à pied de Bordeaux. Il doit y avoir une réserve là-bas. Gentils, polis, souriants : je hais les catholiques, surtout le matin. Ils me vouvoient et ne savent pas encore quand ils vont se marier. Pour le moment, la situation leur convient : un long voyage de non-noces dans des lits superposés ! Devant marche un curé rouquin. Je l'ai vu au petit déjeuner. En clergyman avec un col romain, le tout synthétique et bien luisant, armé d'un bourdon d'antiquaire, énorme, sculpté, digne des Compagnons du Tour de France sous le second Empire. Une semaine par an, il quitte sa paroisse de banlieue pour le chemin de Saint- Jacques. Respirer, dit-il. Suer, c'est sûr. Il a les joues rose bonbon. Le nuage s'évapore, et des vaches apparaissent. Bien rectangulaires, avec de beaux yeux sombres et mélancoliques sous leurs longs cils. Un peintre m'a expliqué un jour pourquoi les juments avaient l'œil si joyeux, alors que celui des vaches était si triste : pas des choses à raconter à des fiancés catholiques.
Très vite, ça fait mal. Dans les jambes, les épaules et le dos. Ça grimpe et ça fait mal. Je n'y arriverai pas seule. N'ayant aucune forme physique, je dois m'en remettre aux seules forces de l'Esprit. Comme au Moyen Âge. Je pique mon bâton dans le sol à coups d'Avé Maria, comme des mantras. Une pour papa, une pour maman, une cuiller de prières, une dizaine par personne, et en avant ! Ça passe ou ça casse. À la grâce de Dieu ! Comme on dit. Mais pour de vrai. En trois dimensions.Mine de rien, ça rythme, ça concentre. Ça aide. Ça marche. J'ai l'impression de traîner toute une tribu derrière moi, des vivants et des morts, leurs visages épinglés sur une longue cape flottant aux bretelles de mon sac à dos. Un monde fou." En avant, route !, Alix de Saint-André
"- Et cette route, de quoi se compose-t-elle ?
- Au début, d'effroi, de poids, puis de joie, de foi et en fin, de soi..."
Well, Compost d'ailes